Au commencement ... l'Asana

09/09/2025

"Sthira sukham asana" - Yoga Sutra Patanjali

Pour beaucoup, le mot yoga évoque une image bien précise : celle de corps souples et sculptés, enchaînant des postures souvent impressionnantes dans un flot de mouvement harmonieux. Cette représentation, bien que partiellement juste, réduit l'expérience du yoga à sa dimension physique. (Si le sujet vous intéresse on vous conseille de lire notre article "Le yoga est il un sport")

Cependant, la posture – ou āsana – n'est pas une fin en soi. Elle n'est ni une performance, ni une acrobatie. Elle est l'expérience d'une pratique de présence, porte d'entrée d'un art subtil qui nous ramène à nous même et tout ce que nous avons de plus vivant.

Āsana, ou le fondement du chemin yogique

Le mot sanskrit « āsana » (आसन) signifie à l'origine « siège » ou « manière d'être assis ». Dans la tradition ancienne, il désignait principalement les postures assises utilisées pour la méditation. Il ne s'agissait pas d'enchaîner des formes, mais de s'installer dans le silence du corps pour entrer dans le silence du mental.

Dans les Yoga Sūtra de Patañjali, référence incontournable du yoga classique, l'āsana est définie ainsi (II.46) :

« Sthira Sukham Āsanam »
« La posture doit être stable (sthiram) et confortable (sukham). »

Cette définition de la posture, à la fois simple et profonde, vient poser une base essentielle : la posture ne vise pas l'effort spectaculaire, mais cherche à établir un équilibre entre ancrage et relâchement, précision et douceur, engagement et détente.

Loin de la performance : une posture d'écoute

Dans notre culture de la vitesse, de l'image et de la comparaison, nous sommes souvent tentés de considérer l'āsana comme une gymnastique esthétique. On veut « réussir » la posture. Aller plus loin. Toucher nos pieds ou le sol. Tenir le plus longtemps. Être le plus souple possible. Paraître parfaitement aligné. Mais au milieu de tous ces impératifs se place en Maitre le mental, l'égo... Or le yoga nous invite à dépasser cette dimension du discours intérieur et nous pousse à cesser de poser la volonté au dessus de tout. L'āsana n'est ni concours de souplesse ni épreuve de force, il est prétexte et expérience!

L'Asana devient une invitation à ralentir. À habiter le corps. À poser une intention de présence au delà de toute intention de performance.

Car lorsque nous quittons l'intention de faire pour entrer dans la posture avec une intensité juste, ni molle, ni crispée, alors, quelque chose de particulier et immense s'ouvre en nous: une forme de disponibilité et d'écoute de laquelle émerge la magie du Yoga.

Le corps comme porte d'entrée, le souffle comme guide

Dans cet art de « se poser dans une forme », les perceptions s'affinent. Le corps se ressent autrement: plus seulement dans les sensations des muscles ou des articulations, mais dans des espaces plus profonds, de plein de vide, de mouvement et de souffle.
On découvre que le bassin respire, que le diaphragme a une mémoire que les épaules parlent, même quand elles ne bougent pas.

Le souffle, jusque-là invisible ou contraint, se libère doucement et  devient fil conducteur. Il guide la posture de l'intérieur, éclaire les zones d'ombre, fait fondre les tensions et soulage l'agitation mentale.

Une posture bien habitée est toujours un lieu de silence,
où le souffle circule librement
et où l'esprit s'apaise.

L'āsana, socle de la pratique yogique

Si le yoga est un chemin composé de huit membres (ashtānga), l'āsana en est le troisième pilier, juste après les principes éthiques (yama) et personnels (niyama).
C'est le seuil du yoga intérieur, celui qui prépare le terrain pour le prāṇāyāma (souffle), pratyāhāra (retrait des sens), et les états de méditation.

Pour cette raison, l'āsana est souvent le point de départ obligé dans toute pratique : c'est à travers le corps que l'on entre dans la conscience.

Mais attention : il ne s'agit pas de le voir seulement comme une étape « inférieure » ou « préparatoire ». L'āsana est déjà en soi un espace d'éveil. C'est déjà le yoga, à condition de pratiquer avec écoute, présence et humilité.

La posture devient miroir

Chaque āsana agit comme un miroir subtil qui révèle alors nos automatismes, croyances ou limitations. L'āsana, nous raconte, il raconte:

  • nos tendances à forcer, à résister, à fuir,

  • notre besoin de contrôle ou de relâchement excessif,

  • notre difficulté à rester immobile et demeurer avec ce qui est.

Mais en même temps, chaque posture devient une opportunité, l'occasion de revenir à soi, de se rencontrer avec honnêteté, de sentir ce qui est vivant, tendu, joyeux ou vulnérable. Et si cette confrontation n'est pas toujours confortable, elle reste parfaitement authentique.

L'āsana comme espace de conscience douce

Avec le temps, la répétition, l'exploration, la posture devient un espace familier. Un sanctuaire. Un lieu intérieur où le corps ne lutte plus, où le souffle nous berce, où la conscience devient claire, douce, ancrée. Ce que l'on cherchait à l'extérieur — la paix, la présence, l'unité — commence à se ressentir de l'intérieur. Et là, le yoga prend tout son sens.

« Dans un āsana, l'esprit doit aller à l'intérieur du corps pour y trouver un espace de silence  »
— Geeta Iyengare

L'asana pour revenir à l'essentiel

L'āsana n'est pas un objectif il est ce qui nous ramène à l'essentiel c'est à dire l' être, l'essence, ou nature de toute chose. Il est un un moyen. Un passage. Un dialogue entre visible et l'invisible.

En posant le corps avec justesse, on invite l'être à se déployer.
En guidant le souffle avec douceur, on ouvre la voie à la clarté intérieure.
En laissant le mental s'apaiser, on goûte à l'espace de conscience que le yoga nous offre.

Dans une époque où tout nous pousse à faire, produire, paraître, l'āsana nous apprend à être simplement , présent et entier?